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L’ENCEINTE DU DÉSERT

 

Il était une fois …

un ermite , au milieu d’une salle de classe toute bruissante,

un poète, duquel on attend un devoir conforme aux exigences méthodologiques universitaires.

Deux paradoxes, deux défis à relever, dont ce livre est à la fois la résolution et le fruit.

Car ce conte a une fin heureuse et je suis honorée de le raconter.

Commençons par le débat, classique en littérature, sur la lutte entre l’inspiration et la méthode, le travail technique et le génie littéraire … on se figure bien volontiers une sorte de « lutte avec l’ange » où le poète passerait ses nuits à combattre contre les exigences de forme pour essayer d’exprimer son paysage intérieur au-delà de leurs limites.

Pourtant, loin de cette imagerie un peu romantique, le poète sait bien que l’exigence de forme ne résiste que pour l’aider à se dépasser, que la méthode est une alliée, une accoucheuse, terriblement exigeante et austère mais qu’elle est finalement stimulante et féconde.

Lorsque le frère Florentin a commencé son travail sur l’Enceinte, je ne savais pas qu’il était poète : il m’avait seulement pudiquement alertée sur sa difficulté avec la méthode universitaire. Le travail a été sérieux, peaufiné, lentement apprivoisé. Ne pas perdre de vue la question à laquelle on veut répondre. Donner une structure à son écrit, un rythme de marche qui fasse du texte un voyage, prendre du recul pour choisir ses arguments, bien citer ses sources pour que le lecteur – qui trouve cela tout naturel –   puisse éventuellement se promener lui aussi dans les ouvrages indiqués… il y a eu lutte sans doute ! Pourtant je ne me la figure pas comme une lutte contre la méthode, mais avec elle pour engendrer une expression claire.

Il est heureux au final que cet ouvrage présente ensemble un travail universitaire et des poèmes : chacun selon son genre, présente une histoire commune d’accouchement de l’esprit … qui réduit le premier paradoxe en une dynamique : si dans un premier temps on peut croire incompatible la posture du poète et la méthode universitaire, finalement on comprend que le ministère de la méthode est au service de la parole qu’elle cherche à rendre plus efficace. Dans ce cas, le poète est sans doute le plus sensible à la justesse de l’expression que vise la méthode universitaire.

Un deuxième paradoxe était de voir ce moine au milieu de sa « promo », bien là et pourtant « porteur d’ailleurs ». J’emploie ici le mot « moine » au sens premier qu’il avait dans l’antiquité et que le frère Florentin a voulu étudier : celui qui se retire pour vivre seul (monos).

Là encore on se figure, et pour une part à juste titre que ce choix de vie retirée, dans la plus grande sobriété et le silence creuse comme un fossé avec la vie « du monde ». A celui qui cherche à se perdre en Dieu, on prête volontiers comme un alibi à ne plus savoir vivre avec ceux qui ne sont plus tout à fait ses semblables.

Pourtant l’ermite sait bien que son appel n’est pas destiné à le couper du monde, mais à indiquer à ses frères, par sa vie, où se trouvent les obstacles à la vie en Dieu. Qui n’a pas déjà constaté qu’il n’y a pas mieux informés que les moines ? Qui n’a pas déjà fait l’expérience de leur connaissance de l’âme humaine ?

Lorsque le frère Florentin a commencé son travail , un peu comme une généalogie de ceux qui l’avaient précédé sur les voies du désert , ce n’est pas un chemin en dehors du monde , qui rejetterait le monde avec mépris qu’il a (re)découvert et redessiné : mais bien un chemin prophétique pour le monde où l’image de l’enceinte prend tout son sens . Lieu de repos et de sécurité , l’enceinte est aussi un « comme un phare » selon le mot de Jean Chrysostome. Or on n’élève pas un phare dans l’obscurité si on ne pense au voyageur auquel il pourra servir de repère ! Tout ermitage est aussi un signe qui atteste que le monde n’est pas indifférent à celui qui s’y est retiré.

Il est donc heureux au final que cet ermite ait ressenti le besoin de venir se former, pour un temps, avec ses frères, glaner et engranger de quoi nourrir son intelligence de la foi . Cet ouvrage en est le témoignage. Témoignage que l’ermite se sait membre d’un corps, témoignage écrit qui servira de phare au détour d’une ligne, à la rencontre d’un vers, dans le secret du cœur d’un lecteur inconnu. Témoignage de la rencontre harmonieuse entre vie spirituelle et les études de théologie (encore un faux paradoxe à débusquer !).

Il était une fois,

un ermite , au milieu d’une salle de classe toute bruissante,

un poète, duquel on attend un devoir conforme aux exigences méthodologiques universitaires.

Et tout le monde vit « que cela était bon ».

 

Pentecôte 2022

Marie Laure  CHAIEB

Professeur de théologie patristique à la faculté de théologie, et Iper UCLy – Lyon